vendredi 22 septembre 2017

Le feu follet ...


Ce feu fantasque, insaisissable
Qui, dans l’ombre voltige et luit
Et qui, même pendant la nuit
Ni sur la mer, ni sur le sable
Ne laisse de traces après lui.

Ce feu toujours prêt à s’éteindre
Tour à tour blanc, vert ou violet
Pour reconnaître ce qu’il est
Il faudrait le pouvoir atteindre !
Atteignez donc un feu follet !

On dit que c’est chose certaine
Un peu d’hydrogène du sol
J’aime mieux croire qu’en son vol
Il vient d’une étoile lointaine
De
Wega, de la
Lyre ou d’Algol.


Mais n’est-ce pas plutôt l’haleine
D’un sylphe, d’un djinn, d’un lutin
Qui brille la nuit et s’éteint
Lorsque se réveille la plaine
Aux rayons joyeux du matin

Ou la lueur de la lanterne
Du long spectre qui va s’asseoir
Sur la chaume du vieux pressoir
Quand la lune blafarde et terne
Se lève à l’horizon du soir ?


Peut-être l’âme lumineuse
D’une folle qui va cherchant
La paix loin du monde méchant
Et passe comme une glaneuse
Qui n’a rien trouvé dans son champ !
Serait-ce un effet de mirage
Sur l’horizon déjà moins clair
Produit par un trouble de l’air

Ou, vers la fin de quelque orage
Le reste d’un dernier éclair ?


Est-ce la lueur d’un bolide
Véritable jouet icarien » ?
Qui dans son cours aérien
Etait lumineux et solide
Et dont il ne reste plus rien

Ou sur les champs dont il éclaire
D’un pâle reflet le sillon
Quelque mystérieux rayon
Tombé d’une aurore polaire
Triste et nocturne papillon ?


Serait-ce en ces heures funèbres
Où les vivants dorment, lassés
Le pavillon aux plis froissés
Qu’ici-bas l’ange des ténèbres
Arbore au nom des trépassés ?

Ou bien, pendant les nuits trop sombres
Lorsque le moment est venu
Est-ce le signal convenu
Que la terre, du sein des ombres
Envoie au ciel vers l’inconnu


Et qui, comme un feu de marée
Aux
Esprits errant à travers
Les vagues espaces ouverts
Indique la céleste entrée
Des ports de l’immense
Univers ?

Mais si c’est l’ardente étincelle
Qui sur son front porte l’Amour
Quand il parcourt le monde pour
Essayer de rencontrer
Celle
Qui doit le fixer sans retour



Prends garde à ton cœur, jeune fille
Et si tu l’aperçois là-bas
Laisse-le seul à ses ébats !

Oui ! prends garde ! ce feu qui brille
S’éteint vite et ne brûle pas !

Qui que tu sois, éclair, souffle, âme
Pour bien
I pénétrer tes secrets
O feu fantasque, je voudrais
Un jour m’absorber dans ta flamme
Alors, partout je te suivrais


Lorsque sur la cime des arbres
Tu viens te poser, souffle ailé
Ou, discrètement appelé
Lorsque tu caresses les marbres
Du cimetière désolé

Quand dans nos vieilles cathédrales
Tu viens parfois te frapper aux
Saints coloriés de leurs vitraux
Ou que des cryptes sépulcrales
Tu glisses hors des soupiraux


Lorsque vers minuit tu t’accroches
Aux ruines du vieux manoir
Qui domine les hautes roches
Et sur le ciel paraît tout noir

Ou quand tu rôdes sur les lisses
Du navire battu de flanc
Sous les coups de typhon hurlant

Et que dans les agrès tu glisses
Ainsi qu’un lumineux goéland !


Et l’union serait complète
Si le destin, un jour, voulait
Que je pusse, comme il me plaît
Naître avec toi, flamme follette
Mourir avec toi, feu follet !


Jules Verne " le feu follet "



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