lundi 31 juillet 2017

L'horizon souligne l'infini !


Au bout du vieux canal plein de mâts, juste en face
De l’Océan et dans la dernière maison
Assise à sa fenêtre, et quelque temps qu’il fasse
Elle se tient, les yeux fixés sur l’horizon.

Bien qu’elle ait la pâleur des éternels veuvages
Sa robe est claire ; et bien que les soucis pesants
Aient sur ses traits flétris exercé leurs ravages
Ses vêtements sont ceux des filles de seize ans.


Car depuis bien des jours, patiente vigie
Dès l’instant où la mer bleuit dans le matin
Jusqu’à ce qu’elle soit par le couchant rougie
Elle est assise là, regardant au lointain.

Chaque aurore elle voit une tardive étoile
S’éteindre, et chaque soir le soleil s’enfoncer
À cette place où doit reparaître la voile
Qu’elle vit là, jadis, pâlir et s’effacer.


Son cœur de fiancée, immuable et fidèle
Attend toujours, certain de l’espoir partagé
Loyal ; et rien en elle, aussi bien qu’autour d’elle
Depuis dix ans qu’il est parti, rien n’a changé.

Les quelques doux vieillards qui lui rendent visite
En la voyant avec ses bandeaux réguliers
Son ruban mince où pend sa médaille bénite
Son corsage à la vierge et ses petits souliers


La croiraient une enfant ingénue et qui boude
Si parfois ses doigts purs, ivoirins et tremblants
Alors que sur sa main fiévreuse elle s’accoude
Ne livraient le secret des premiers cheveux blancs.

Partout le souvenir de l’absent se rencontre
En mille objets fanés et déjà presque anciens :
Cette lunette en cuivre est à lui, cette montre
Est la sienne, et ces vieux instruments sont les siens.



Il a laissé, de peur d’encombrer sa cabine
Ces gros livres poudreux dans leur oubli profond
Et c’est lui qui tua d’un coup de carabine
Le monstrueux lézard qui s’étale au plafond.

Ces mille riens, décor naïf de la muraille
Naguère, il les a tous apportés de très loin.
Seule, comme un témoin inclément et qui raille
Une carte navale est pendue en un coin




Sur le tableau jaunâtre, entre ses noires tringles
Les vents et les courants se croisent à l’envi
Et la succession des petites épingles
N’a pas marqué longtemps le voyage suivi.

Elle conduit jusqu’à la ligne tropicale
Le navire vainqueur du flux et du reflux,
Puis cesse brusquement à la dernière escale
Celle d’où le marin, hélas ! n’écrivit plus.


Et ce point justement où sa trace s’arrête
Est celui qu’un burin savant fit le plus noir :
C’est l’obscur rendez-vous des flots où la tempête
Creuse un inexorable et profond entonnoir.

Mais elle ne voit pas le tableau redoutable
Et feuillette, l’esprit ailleurs, du bout des doigts
Les planches d’un herbier éparses sur la table
Fleurs pâles qu’il cueillit aux Indes autrefois.



Jusqu’au soir sa pensée extatique et sereine
Songe au chemin qu’il fait en mer pour revenir
Ou parfois, évoquant des jours meilleurs, égrène
Le chapelet mystique et doux du souvenir

Et, quand sur l’Océan la nuit met son mystère
Calme et fermant les yeux, elle rêve du chant
Des matelots joyeux d’apercevoir la terre
Et d’un navire d’or dans le soleil couchant.

François Coppée " l’attente "



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